Page:Zola - Travail.djvu/307

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Mais ce que j’espère de vous, c’est, dans les difficultés où nous sommes, de vous voir rester fidèle à la maison que nous avons fondée ensemble.  »

Bonnaire eut un brusque geste fâché.

«  Oh  ! monsieur Luc, auriez-vous douté de moi  ? Vous savez bien que je ne suis pas un traître, et que, maintenant, puisque vous m’avez un jour sauvé de la faim, je suis prêt à manger mon pain sec avec vous, aussi longtemps qu’il le faudra… N’ayez pas peur, ce que je viens de vous dire, je ne le dis à personne. Ce sont des affaires entre vous et moi. Mais, naturellement, je ne vais pas décourager nos ouvriers, en leur annonçant la ruine prochaine… Nous sommes associés et nous resterons associés, jusqu’à ce que les murs nous tombent sur la tête.  »

Luc, très ému, lui serra les deux mains. Et la semaine suivante, il fut plus touché encore, lorsqu’il surprit toute une scène qui se passait dans la halle des laminoirs. On l’avait prévenu que deux ou trois ouvriers mauvaises têtes voulaient faire comme Ragu. en tâchant d’entraîner le plus de camarades possible. Et, comme il arrivait pour rétablir l’ordre, il vit Bonnaire, au milieu des mutins, qui intervenait avec véhémence. Il s’arrêta, il écouta. Bonnaire, vaillamment, disait tout ce qu’il fallait dire, rappelait les bienfaits de la maison, calmait les inquiétudes par la promesse d’un avenir meilleur, si l’on était brave au travail. Il était si grand, si beau, que tous s’apaisaient, à entendre un des leurs dire des choses si raisonnables. Pas un ne parlait plus de rompre l’association, les défections se trouvèrent arrêtées. Et Luc n’oublia plus ce spectacle de Bonnaire, le bon géant, pacifiant les révoltés, d’un geste ample, en héros du travail, respectueux de la besogne acceptée librement, puisqu’on luttait pour le bonheur de tous, il se serait cru un lâche en désertant son poste, même s’il pensait qu’on aurait dû lutter d’une autre façon.