Page:Zola - Travail.djvu/310

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ne veulent donc pas être heureux à votre façon, ces imbéciles qui consentent à s’enfermer dans votre caserne  ?   »

Il goguenardait, il plaisantait ainsi Luc à chacune de leurs rencontres, sur la tentative de communisme fouriériste faite à la Crêcherie. Et, comme celui-ci se contentait de sourire, il ajouta  : «  J’espère bien qu’avant six mois vous viendrez à nous, les anarchistes… Encore une fois, je vous le répète, tout est pourri, il n’y a plus qu’à flanquer la vieille société par terre, à coups de bombe.  »

Bonnaire, qui, jusque-là, avait gardé le silence, intervint brusquement.

«  Oh  ! à coups de bombe, c’est imbécile  !   »

Lui, collectiviste pur, n’était pas pour l’attentat, pour la propagande par le fait, tout en croyant à la nécessité d’une révolution générale et violente.

«  Comment, imbécile  ! s’écria Lange, blessé. Croyez-vous que si l’on n’y prépare pas les bourgeois, votre fameuse socialisation des outils du travail se fera jamais  ? C’est votre capitalisme déguisé qui est imbécile. Commencez donc par tout détruire, pour tout reconstruire.  »

Ils continuèrent, l’anarchie de l’un aux prises avec le collectivisme de l’autre, et Luc n’eut plus qu’à les écouter. L’écart était aussi grand de Lange à Bonnaire, qu’il l’était de Bonnaire à lui. En les écoutant, on les aurait crus, à l’âpreté, à la méchanceté de la querelle, des hommes de races différentes, ennemis séculaires, prêts à se dévorer, sans aucune entente possible. Et, pourtant, ils voulaient le même bonheur pour tous les êtres, ils se rejoignaient au même but, la justice, la paix, le travail réorganisé, donnant le pain et la joie à tous. Mais quelle fureur encore, quelle haine agressive, meurtrière, dès qu’il s’agissait de s’entendre sur les moyens  ! Le long de la