Page:Zola - Travail.djvu/311

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route si rude du progrès, c’était, à chaque halte, parmi les frères en marche, enflammés tous du même désir d’affranchissement, des batailles sanglantes, sur la simple question de savoir s’il fallait passer à droite ou à gauche.

«  Et puis, chacun est son maître, finit par déclarer Lange. Endormez-vous dans votre niche à bourgeois, si ça vous amuse, camarade. Moi, je sais bien ce que j’ai à faire… Et ça marche, ca marche, les petits cadeaux, les petites marmites que nous irons déposer un beau matin chez le sous-préfet, chez le maire, chez le président, chez le curé, n’est-ce pas, la Nu-Pieds  ? Une fameuse tournée, hein  ? ce matin-là, et comme on poussera la carriole de bon cœur  !   »

La grande belle fille était revenue sur le seuil, où elle se détachait souveraine et sculpturale, parmi les argiles rouges du petit clos. De nouveau, ses yeux flambèrent, elle eut un sourire de servante qui s’est donnée, prête à suivre son maître jusqu’au crime.

«  Elle en est, camarade, ajouta simplement Lange, de son air bourru et tendre. Elle m’aide.  »

Lorsque Luc et Bonnaire l’eurent quitté, sans fâcherie, malgré leur peu d’entente, ils marchèrent en silence un instant. Puis, le dernier éprouva le besoin de reprendre ses arguments, de prouver une fois de plus qu’il n’y avait pas de salut possible, en dehors de la foi collectiviste. Il damnait les anarchistes, comme il damnait les fouriéristes, ceux-ci parce qu’ils ne s’emparaient pas immédiatement du capital, ceux-là parce qu’ils le supprimaient violemment. Et Luc songeait de nouveau que la réconciliation n’était possible que dans la Cité fondée enfin, lorsque toutes les sectes s’apaiseraient devant le rêve commun réalisé. On ne se querellerait plus sur la meilleure route à suivre, on serait au but désiré de tous, et la paix fraternelle régnerait. Mais quelle inquiétude mortelle lui donnait le long chemin à parcourir encore, et quelle crainte il avait de voir