Page:Zola - Travail.djvu/314

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Pour se marier, il était nécessaire qu’Achille sommât judiciairement son père  ; et cela lui semblait une complication vexatoire, inutile. Vainement, Sœurette insista, dans l’idée que la morale, pour la bonne réputation de la Crêcherie, exigeait encore le mariage légal. Et Luc finit par obtenir d’elle qu’elle fermât les yeux, car il sentait bien qu’avec les générations nouvelles, il faudrait peu à peu tolérer l’union libre.

Mais Morfain n’acceptait point aussi aisément la situation, et Luc dut monter un soir, pour le raisonner. Depuis qu’il avait chassé sa fille, le maître fondeur vivait seul avec son fils, Petit-Da, faisant tous les deux leur ménage et leur cuisine, dans leur trou de roche. Et, ce soir-là, ils avaient achevé de dîner d’une soupe, lis restaient assis sur des escabeaux, devant leur rude table de chêne qu’ils avaient fabriquée eux-mêmes à coups de hache, tandis que la maigre lampe qui les éclairait, projetait sur la pierre enfumée des murs leurs ombres de colosses.

«  Pourtant, père, disait Petit-Da, le monde marche, on ne peut rester immobile.  »

D’un coup de poing, Morfain ébranla la lourde table.

«  J’ai vécu comme mon père a vécu, et votre devoir était de vivre comme je vis.  » D’habitude, les deux hommes n’échangeaient pas quatre paroles en un jour. Mais, depuis quelque temps, un malaise grandissait entre eux  ; et, bien qu’ils fissent tout pour les éviter, des explications parfois éclataient. Le fils savait lire, écrire, était de plus en plus touché par l’évolution, qui soufflait jusqu’au fond des gorges de la montagne. Et le père, dans son entêtement glorieux de n’être qu’un solide ouvrier, dont l’effort suffisait à dompter le feu et à conquérir le fer, s’emportait douloureusement, en trouvant que sa race s’abâtardissait, par toute cette science et toutes ces idées inutiles.