Page:Zola - Travail.djvu/327

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misérable corps, à faire une formidable besogne. On lui cachait la crise inquiétante que traversait la Crêcherie, pour ne pas le troubler. Il croyait que tout marchait bien, il était d’ailleurs incapable de s’apercevoir des choses et de s’y intéresser, continuellement enfermé dans son laboratoire, tout à son œuvre qui seule existait au monde. Et voilà que, ce matin même, il s’était mis au travail de bonne heure, en se sentant l’intelligence claire voulant en profiter pour une dernière expérience. Et elle avait totalement échoué, il se heurtait à un obstacle imprévu, erreur de calcul, détail négligé, qui prenait soudain une importance destructive, qui reculait indéfiniment la solution cherchée de ses fours.

C’était un écroulement, tant de travail improductif encore, tant de travail encore nécessaire. Au milieu de la vaste pièce désolée, il venait de se réenvelopper dans ses couvertures, pour s’allonger au fond du fauteuil où il passait de longues heures, lorsque sa sœur entra. Il la vit si pâle, si défaite, qu’il s’inquiéta vivement, lui qui avait assisté à l’échec de son expérience d’un front tranquille, en homme que rien ne décourage.

«  Qu’as tu donc, chérie  ? Es tu souffrante  ?   »

Sa confidence ne la gêna pas. Elle dit sans une hésitation, en pauvre fille dont le cœur s’ouvrait dans un sanglot  :

«  J’ai, mon bon frère, que j’aime Luc et qu’il ne m’aime pas. Je suis bien malheureuse.  »

Et, de son air simple et candide, elle dit toute l’histoire, comment elle avait vu sortir Josine de chez Luc, comment elle en éprouvait au cœur une douleur si atroce, qu’elle accourait avec le besoin d’être consolée, guérie. Elle aimait Luc, et Luc ne l’aimait pas.

Jordan l’écoutait avec stupeur, comme si elle lui avait conté un cataclysme extraordinaire, inattendu.

«  Tu aimes Luc, tu aimes Luc  !   »