Page:Zola - Travail.djvu/330

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«  Pourquoi ne m’aime-t-il pas  ? pourquoi ne m’aime-t-il pas  ?

— S’il ne t’aime pas de l’amour dont tu voudrais être aimée petite sœur, c’est qu’il ne te connaît pas assez. Non, il ne te connaît pas comme je te connais, il ne sait pas que tu es la meilleure, la plus douce, la plus dévouée, la plus aimante. Tu aurais été la compagne, l’aide, celle qui facilite et adoucit la vie. Mais l’autre est venue avec sa beauté, et il y a là des forces bien puissantes puisqu’il l’a suivie sans te voir, toi qui l’aimais pourtant… Il faut te résigner.  »

Il l’avait prise dans ses bras, il la baisait sur les cheveux. Et elle se débattait toujours.

«  Non, non  ! je ne puis  !

— Si, tu te résigneras, tu es trop bonne, trop intelligente pour ne pas te résigner… Un jour, tu oublieras.

— Oh  ! cela, non  ! jamais  !

— J’ai tort  ; je ne te demande pas l’oubli, garde le souvenir dans ton cœur, personne autre que toi n’en pourra souffrir… Mais je te demande la résignation, parce que je sais bien qu’elle a toujours été en toi et que tu en es capable, jusqu’au renoncement, jusqu’au sacrifice… Songe donc à tous les désastres, si tu te révoltais, si tu parlais. Ce serait notre vie rompue, nos œuvres ruinées, et tu souffrirais mille fois davantage.  »

Frémissante, elle l’interrompit.

«  Eh bien  ! que la vie se rompe, que les œuvres soient ruinées  ! Au moins, je me serai satisfaite… C’est mal, frère, de me parler ainsi. Tu es égoïste.

— Égoïste, lorsque je ne songe qu’à toi, petite sœur adorée  ! En ce moment, c’est la douleur qui s’exaspère en ton être si bon. Et quel serait ton amer remords, si je te laissais tout détruire  ! Demain, tu ne pourrais plus vivre, devant les décombres que tu aurais amoncelés… Pauvre cher