Page:Zola - Travail.djvu/336

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toujours une œuvre après une œuvre, tant que nous sommes debout, dans notre intelligence et notre virilité.

Il semblait être devenu grand, être devenu fort, comme cuirassé par sa croyance en l’effort humain contre tout découragement, certain de vaincre, s’il utilisait pour la victoire jusqu’au dernier battement de ses veines. Et Luc, qui l’écoutait, sentait déjà lui venir, de cet être si chétif, un souffle d’indomptable énergie.

«  Le travail  ! le travail  ! continua Jordan, il n’est pas d’autre force. Quand on a mis sa foi dans le travail, on est invincible. Et cela est si aisé, de créer un monde  : il suffit, chaque matin, de se remettre à la besogne, d’ajouter une pierre aux pierres du monument déjà posées, de le monter aussi haut que la vie le permet, sans hâte, par l’emploi méthodique des énergies physiques et intellectuelles dont on dispose. Pourquoi douterions-nous de demain, puisque c’est nous qui le faisons, grâce à notre travail d’aujourd’hui  ? Tout ce que notre travail ensemence, c’est demain qui nous le donne… Ah  ! travail sacré, travail créateur et sauveur, qui est ma vie, mon unique raison de vivre  !   »

Ses regards s’étaient perdus au loin, il ne parlait plus que pour lui, répétant cet hymne au travail, qui revenait sans cesse sur ses lèvres, dans ses grosses émotions. Et il disait une fois de plus comment le travail l’avait consolé, l’avait soutenu toujours. S’il vivait encore, c’était qu’il avait mis dans sa vie une œuvre, pour laquelle il avait régularisé toutes ses fonctions. Il était bien sûr de ne pas mourir, tant que son œuvre ne serait pas finie. Quiconque se donnait à une œuvre, trouvait dès lors un guide, un soutien, comme le régulateur même du cœur qui battait dans sa poitrine. L’existence prenait un but, la santé se réglait, un équilibre se faisait d’où naissait la seule joie humaine possible, celle de l’action justement accomplie. Lui,