Page:Zola - Travail.djvu/352

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Son mari n’était qu’un esprit grossier, qu’un brutal et qu’un avare, rêvant de lâcher le moins possible des sommes considérables encaissées à l’usine  ; et les plaisanteries lourdes, les gros mots dont il poursuivait Boisgelin, étalent pour elle autant d’attaques indirectes dont elle se sentait personnellement blessée.

«  Mon cher, conclut-elle avec sécheresse, tout le monde n’est pas fait pour s’abrutir au travail la journée entière, et ceux qui ont de l’argent ont raison d’en jouir comme ils l’entendent, à goûter les distractions d’une existence supérieure.  »

Delaveau, violemment, voulut répondre. Puis, il réussit, d’un brusque effort, à se calmer. Pourquoi aurait-il tenté de convaincre sa femme  ? Il la traitait en enfant gâtée, la laissait agir à sa guise sans jamais se fâcher, chez elle, des erreurs de conduite, qu’il réprouvait si vivement chez les autres. Même il ne s’apercevait pas de sa vie folle, car elle était sa folie à lui, le joyau qu’il avait voulu dans ses mains épaisses de grand travailleur. Jamais il ne l’avait aimée, désirée davantage, lorsque, le soir, il la retrouvait au lit, d’un charme exquis et d’un parfum grisant, après les dures journées qu’il passait au milieu des fumées âcres, des travaux noirs et assourdissants de l’Abîme. Elle restait son admiration, son adoration, l’idole qu’on met à part dans une abdication superstitieuse de sa dignité et de son bon sens, et qu’on ne peut même soupçonner.

Un silence s’était fait, Delaveau finit par se coucher à son tour sans éteindre encore la petite lampe électrique, posée sur la table de nuit. Un instant, il demeura immobile, les yeux grands ouverts près de lui, il sentait la tiédeur, l’odeur pénétrantes de ce corps de femme, dont les bras nus, la gorge nue avaient une douceur de soie, parmi les dentelles. Mais, déjà, Fernande s’endormait, les yeux clos dans son beau visage, que la grande lassitude