Page:Zola - Travail.djvu/358

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jeter à la rue, en répétant qu’il serait bien débarrassé, si un autre homme la ramassait sur le trottoir. Lui-même avait repris sa vie de coureur, débauchait les filles de fabrique qui consentaient à l’écouter, se contentait des rôdeuses en haillons, éparses le soir dans les rues puantes du vieux Beauclair. Alors, puisqu’il mettait une insulte à ne plus vouloir d’elle, pourquoi s’enrageait-il de la sorte, le jour où il la trouvait enceinte  ?

«  Il n’est pas de moi, tu n’oseras pas dire qu’il est de moi  ?   »

Elle finit par répondre, sans le quitter des yeux, d’une voix lasse et profonde  :

«  Non, il n’est pas de toi.  »

D un coup de poing, il voulut l’abattre. Mais elle s’était reculée, il ne lui effleura que l’épaule. Il hurlait  :

«  Tu oses me dire ça, bougre de saleté  ! … Et le nom de l’homme, dis-moi le nom de l’homme, pour que j’aille lui régler son affaire  ?   »

Tranquillement, elle répondit encore  :

«  Le nom, je ne te le dirai pas, tu n’as aucun droit à le savoir, puisque tu m’as dit vingt fois que tu avais assez de moi et que je pouvais chercher ailleurs.  »

Et elle ajouta  :

«  Tu n’as pas voulu un enfant de moi, j’en ai un d’un autre, et c’est celui-là qui est maintenant mon mari, ça ne te regarde pas.  »

Il l’aurait tuée. Elle dut fuir pour éviter les coups de pied dont il essayait, méchamment, par un calcul atroce, de l’atteindre en plein ventre. Ce qui l’enrageait ainsi, c’était ce qu’elle venait de dire, qu’un autre l’avait rendue mère, et que désormais rien ne le regardait plus d’elle, ni de son corps, ni de sa vie. Lui qui n’avait pas voulu d’enfant, il était mordu d’une sourde douleur, à cette idée de n’être pas le père. Il sentait qu’elle n’était plus à lui,