Page:Zola - Travail.djvu/359

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qu’elle n’avait jamais été à lui. Un autre la lui avait prise, avant qu’il l’eût faite sienne  ; et, maintenant, jamais plus il ne la ferait sienne. C’était cela qui, confusément, le soulevait d’une jalousie affreuse, dont il ne connaissait point, dont il aurait cru ne pouvoir connaître la torture. Dès lors, cette femme qu’il parlait de jeter à la rue, qu’il délaissait pour des gueuses immondes, il l’enferma, il la surveilla, secoué d’accès de fureur, lorsqu’il la voyait causer avec un homme. La colère de l’irréparable l’emportait en de continuelles violences, la maltraitant, tâchant de la meurtrir dans sa chair, cette chair dont la possession lui échappait par sa faute. Et toujours il revenait, dans son orgueil blessé de mâle, qui n’avait point su faire œuvre de vie, à sa rancune contre l’autre, l’inconnu, celui qui avait fait de cette chair une dépendance même de sa chair.

«  Dis-moi son nom, dis-moi son nom, et je te jure que je te laisserai tranquille.  »

Mais elle ne cédait pas. Elle supportait les injures et les coups, répétant avec sa douce sincérité  :

«  Tu n’as pas besoin de savoir son nom, ça ne te regarde pas.  »

Ragu ne pouvait soupçonner Luc, et une telle supposition ne lui vint même pas à l’esprit, car pas une âme au monde, en dehors de Sœurette, n’avait surpris les visites de Josine. Il cherchait parmi les camarades, croyant à un abandon d’une heure entre les bras de quelque gaillard de son monde, un soir de paie, lorsque le vin chauffe le sang. Aussi toutes ses recherches furent-elles vaines, il eut beau guetter, interroger, il n’arriva qu’à s’exaspérer davantage.

Cependant, Josine se cachait de tous, dans la crainte que Luc eût à souffrir de cette grossesse, si leur secret était découvert.

Lorsqu’elle avait eut la certitude d’être enceinte de lui, elle s’était sentie d’abord pleine d’une