Page:Zola - Travail.djvu/370

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la glaça, elle devint très calme, maîtresse absolue d’elle-même. Bien qu’il fît à peine jour, elle n’alluma pas, n’ouvrit même pas les persiennes. Simplement, elle tordit ses cheveux, les ramena, les attacha avec des épingles  ; et, sans mettre de corset, elle passa un ample peignoir de flanelle blanche, dans lequel elle s’enveloppa toute, chaussée de pantoufles de velours également blanc. Et elle descendit, comme les jours où elle avait à donner quelque ordre matinal, dont le souvenir lui était revenu pendant la nuit.

En bas, les bonnes n’étaient pas levées encore, profitant de l’absence de Monsieur, comptant bien que Madame ferait la grasse matinée. Fernande, avec une précision de mouvements extraordinaire, traversa le cabinet de son mari, ouvrit la porte de l’étroite et courte galerie, qui mettait ce cabinet en communication avec le corps de bâtiment de l’Abîme, où les bureaux administratifs se trouvaient installés. Les employés n’arrivaient qu’à huit heures, et le garçon de bureau, chargé du balayage, flânait dehors sur la route, en compagnie du gardien, qui fumait paisiblement sa pipe. Elle ne fut pas même aperçue, elle put couper au plus droit par la cour, entrer dans la halle des fours à puddler, sans que personne la remarquât. Comme elle en avait la tranquille certitude, les circonstances la servaient, les équipes de nuit venaient de partir, bien que les équipes de jour ne fussent pas encore là. Et, pour comble d’heureuse chance, Ragu, qui s’était attardé dans une rage de travail, demeurait seul, en train de changer de vêtements.

Fernande, tout en connaissant son chemin, ne s’était jamais hasardée ainsi, dans cet empire noir du charbon et du fer. Elle avait le dégoût profond de tant de saleté, unie à tant de bassesse. Aussi resta-t-elle un peu gênée, avec son peignoir blanc, ses pantoufles blanches, lorsqu’il lui fallut entrer dans l’immense trou sombre de la halle