Page:Zola - Travail.djvu/378

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sur son séant, toute blanche, échevelée, la gorge nue, au milieu du lit ravagé.

«  Ah  ! dit-elle simplement.

— Oui, Madame, il lui a planté par-derrière le couteau entre les deux épaules. C’est à cause de sa femme, à ce qu’on dit. En voilà une catastrophe  !   »

Les yeux fixes, perdus au loin, comme s’ils voyaient l’invisible, la gorge soulevée, toute la chair tendue dans le spasme qui continuait, Fernande restait immobile, à demi obscure.

«  C’est bien, dit-elle enfin, qu’on me laisse dormir.  »

Et, quand la femme de chambre eut refermé doucement porte, elle retomba dans le lit en désordre, se mit sur le flanc, tourna la face contre le mur, et de nouveau ne bougea plus.

Maintenant, un atroce goût de sang se mêlait à l’odeur de fauve qui l’enveloppait toute  ; et il entra une excitation monstrueuse du crime dans son plaisir. Elle crut en mourir, tellement la sensation était violente, aiguë, pareille à un fer dont la pointe l’aurait labourée aux plis secrets les plus délicats de la volupté. C’était l’inoubliable, le bonheur, l’épouvante, le triomphe, toute la créature nerveuse bandée en un paroxysme d’exaltation, qu’elle n’avait jamais connu qu’elle ne connaîtrait plus jamais. Et elle s’oublia des heures et des heures, au fond des ténèbres du lit ardent, la face contre le mur, comme si elle n’avait pas voulu rentrer dans sa banale vie quotidienne, pour remâcher à l’infini l’exécrable jouissance.

Il était près de neuf heures, dans le petit jour pâle de l’hiver lorsque Luc fut frappé. Ainsi qu’à l’habitude, il venait faire sa visite matinale aux écoles, sa meilleure joie de la journée, et Ragu qui le guettait, caché derrière un massif de fusains, s’élança, lui planta le couteau entre les épaules, comme il était sur le seuil riant avec des fillettes, accourues à sa rencontre. Il poussa un grand cri  ;