Page:Zola - Travail.djvu/422

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«  As-tu pu croire un instant que je vais consentir à n’avoir rien à me mettre sur le dos, à ne plus porter que des bottines éculées, à recommencer cette misère dont le souvenir est un cauchemar  ? Ah  ! non, je ne suis pas comme vous autres, je ne veux pas, moi  ! Il faut que vous vous arrangiez, Boisgelin et toi, je ne veux pas redevenir pauvre  !   »

Elle continua, lâcha ce qui grondait dans son être éperdu. C’était sa jeunesse misérable, lorsque à vingt ans, nourrie par sa mère, la maîtresse de piano, elle traînait la faillite de sa grande beauté, séduite, puis abandonnée, toute cette aventure odieuse, enfouie au plus secret d’elle-même. C’était son mariage de calcul et de raison, ce Delaveau accepté malgré sa laideur et sa condition infime, dans le besoin où elle se trouvait d’un soutien, d’un mari qu’elle utiliserait. C’était le coup de fortune de l’Abîme, la réussite de son calcul, ce mari devenant l’occasion et la garantie de sa victoire, Boisgelin conquis, la Guerdache à elle, tous les luxes et toutes les jouissances à elle. Et c’était, pendant douze années, tout ce que la jouisseuse, la pervertisseuse, avec son fond de cruauté innée, avait goûté là de rare et d’exquis, satisfaisant ses appétits démesurés, apaisant la rancune noire amassée dès l’enfance, heureuse de ses mensonges, de ses parjures, de ses trahisons, du désordre et de la ruine qu’elle apportait, heureuse surtout des larmes qu’elle faisait couler des yeux de Suzanne. Et cela ne durerait pas toujours, et elle retomberait, vaincue, à sa pauvreté d’autrefois  !

«  Arrangez-vous, arrangez-vous  ! Je ne veux pas aller toute nue, le ne retrancherai absolument rien de mon existence.  »

Delaveau, qu’elle commençait à impatienter, haussa ses fortes épaules. Il avait appuyé sur ses deux poings sa tête massive de bouledogue, aux mâchoires saillantes  ; et