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vermine d’enfant vient de vous voler, madame Mitaine… Vous n’allez pas dire non. »

Toute rose de son mensonge, la boulangère répéta doucement :

« Vous vous trompez, mon voisin, c’est moi qui ai donné le pain à cet enfant. Il ne l’a pas volé. »

Et, comme Dacheux s’emportait contre elle, en lui prédisant qu’avec cette belle indulgence elle finirait par les faire tous piller et égorger, le sous-préfet Châtelard, qui avait jugé la scène de son coup d’œil d’homme prudent, s’approcha du gendarme, lui fit lâcher Nanet, auquel il souffla d’une voix de croque-mitaine :

« Sauve-toi vite, gamin ! »

Déjà la foule grondait, se fâchait. Puisque la boulangère affirmait qu’elle l’avait donné, ce pain ! Un pauvre petit gars, haut comme une botte, qui jeûnait depuis la veille ! Des cris, des huées s’élevèrent, une voix brusque et tonnante se dégagea, domina tous les bruits.

« Ah ! tonnerre de Dieu ! c’est donc les mômes de six ans qui doivent aujourd’hui nous donner l’exemple ?… Il a eu raison, cet enfant. Quand on a faim, on peut tout prendre. Oui, tout ce qui est dans les boutiques est à nous, et c’est parce que vous êtes des lâches que vous crevez de faim ! »

La cohue s’agita, reflua, comme lorsqu’un pavé est jeté dans une mare. Des questions s’élevaient : « Qui est-ce ? qui est-ce ? » Et des réponses tout de suite coururent : « C’est le potier, c’est Lange, c’est Lange ! » Luc, alors, au milieu des groupes qui s’écartaient aperçut l’homme, un homme petit et trapu, de vingt-cinq ans à peine, à la tête carrée, embroussaillée de barbe et de cheveux noirs. D’aspect rustique, les yeux brûlant d’intelligence, il parlait, les mains dans les poches, avec les rudes envolées d’un poète mal dégrossi, criant son rêve.

« Les provisions, l’argent, les maisons, les vêtements,