Page:Zola - Travail.djvu/452

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sommeil  ; et ce qu’il contait ainsi, d’un flot de paroles débordant, était précisément le récit sans fin de ses sensations, de ses souvenirs, emmagasinés depuis son entrée à l’asile.  »

Suzanne frémissait, tâchait de cacher l’affreuse émotion où la jetait cet exemple.

«  Et, demanda-t-elle de nouveau, qu’est-ce que le malheureux est devenu  ?   »

Novarre hésita une seconde.

«  Il est mort trois jours après. Je dois vous l’avouer, madame, ces sortes de crises sont presque toujours le symptôme d’une fin prochaine. C’est l’éternelle image de la lampe qui jette un dernier éclat avant de s’éteindre.  »

Un grand silence régna. Elle était devenue très pâle, le froid de la mort passait. Mais ce n’était point la fin prochaine du triste grand-père, c’était en elle une autre crainte, une autre douleur. Comme le vieillard de Saint-Cron, est-ce que le grand-père avait tout vu, tout entendu, tout compris  ? Et elle finit par poser encore une question.

«  Docteur, croyez-vous l’intelligence abolie, chez notre cher infirme  ? Selon vous, comprend-il, pense-t-il  ?   »

Novarre eut un geste vague, le geste du savant qui, en dehors de la certitude expérimentale, ne croit pouvoir s’engager à rien.

«  Oh  ! madame, vous m’en demandez beaucoup. Tout est possible, dans ce mystère du cerveau, où nous pénétrons si difficilement encore. L’intelligence peut rester intacte, après la perte de la parole, car ce n’est pas parce qu’on ne parle pas qu’on ne pense pas… Cependant, j’aurais diagnostiqué un affaiblissement de toutes les facultés mentales de M. Jérôme, je l’ai cru sombré à jamais dans l’enfance sénile.

— Mais il est possible, dites-vous, qu’il ait gardé ses facultés intactes.