Page:Zola - Travail.djvu/459

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remise  ; et, sans tarder, il suivit le petit domestique. Mais quelle émotion aussi, quel attendrissement de tout son cœur, à ces simples mots, si touchants  : «  Mon ami, j’ai besoin de vous, venez tout de suite  !   » Il y avait douze ans que les événements les avaient séparés, et elle lui écrivait comme s’ils s’étaient quittés la veille, certaine de le voir répondre à son appel. Elle n’avait pas douté un instant de son ami, il était touché aux larmes de la sentir toujours la même, dans leur bonne fraternité d’autrefois. Les plus effroyables drames avaient pu éclater autour d’eux, toutes les passions s’étaient déchaînées, balayant les hommes et les choses, et ils se retrouvaient naturellement la main dans la main, après tant d’années de séparation. Puis, comme, d’un pas alerte, il approchait de la Guerdache, il se demanda pourquoi elle l’appelait. Il n’ignorait pas le désir où était Boisgelin de lui vendre l’Abîme le plus cher possible, en spéculant sur la situation. Sa résolution était d’ailleurs formelle, jamais il n’achèterait l’Abîme  ; car la seule solution acceptable était que l’Abîme entrât dans l’association de la Crêcherie, comme les autres usines de moindre importance s’y étaient déjà fondues. L’idée l’effleura un instant que Boisgelin avait dû pousser sa femme à lui faire des ouvertures. Mais il la connaissait, elle était incapable de se prêter à un pareil rôle. Et il la devinait brisée d’inquiétude, ayant besoin de lui en quelque circonstance tragique. Il ne chercha plus, elle lui dirait elle-même le service qu’elle attendait de son affection.

Suzanne attendait Luc dans un petit salon, et quand il entra, elle crut défaillir, tant son trouble fut profond. Lui-même restait bouleversé, le cœur débordant. D’abord, ils ne purent dire une parole. Et ils se regardaient en silence.

«  Oh  ! mon ami, mon ami  », murmura-t-elle enfin.