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yeux qui paraissaient plus grands encore, d’une clarté profonde, infinie. Et il ne dit rien, pas même une parole d’accueil et de remerciement. Le lourd silence continua plusieurs minutes, sans qu’il détournât les regards de cet inconnu, de ce fondateur de la Crêcherie, comme s’il eût voulu le bien connaître, entrer en lui de ses yeux de mourant, au plus profond de l’âme.

Suzanne, un peu embarrassée, reprit  :

«  Grand-père, vous ne connaissiez pas M. Froment, peut-être l’aviez-vous remarqué dans vos promenades  ?   »

Il n’eut pas l’air d’entendre, il ne répondit pas davantage à sa petite-fille. Mais, au bout d’un instant, il tourna de nouveau la tête, chercha des yeux dans la chambre. Et, ne trouvant pas, il finit par prononcer un seul mot, un nom  :

«  Boisgelin…  »

Ce fut, pour Suzanne, un nouvel étonnement, mêlé d’inquiétude et de gêne.

«  Vous demandez mon mari, grand-père, vous désirez qu’il soit là  ?

— Oui, oui, Boisgelin.  »

— C’est qu’il n’est pas rentré, je crois. En attendant, vous devriez dire à M. Froment pourquoi vous avez voulu le voir.

— Non, non… Boisgelin, Boisgelin.  »

Évidemment, il ne pouvait parler que devant Boisgelin. Suzanne, après s’être excusée près de Luc, quitta la chambre, à la recherche de son mari. Et Luc resta face à face avec M. Jérôme, et il sentait toujours sur sa personne les regards d’infinie clarté. Lui-même alors l’examina, le trouva d’une beauté extraordinaire, dans son extrême vieillesse, avec sa face blanche, ses traits réguliers auxquels l’approche de la mort, ennoblie par un grand acte, donnait une majesté souveraine. L’attente fut longue,