Page:Zola - Travail.djvu/470

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rendaient demain les richesses qu’ils gaspillent pour leurs plaisirs solitaires, les grands domaines, les grandes exploitations, les usines, les routes les villes, ce serait tout de suite la paix faite, l’amour refleurissant parmi les hommes, une telle abondance de biens, qu’il n’y aurait plus un seul misérable. Il faut rendre, il faut donner l’exemple, si l’on veut que d’autres riches comprennent, sentent d’où viennent les maux dont ils agonisent, veuillent retremper leur descendance dans la vie active, le labeur quotidien, le pain qui ne nourrit jamais mieux que lorsqu’on l’a gagné. Il faut rendre, quand il en est temps encore, quand il y a quelque grandeur à retourner avec les camarades, en leur montrant qu’on s’est trompé, qu’on reprend sa place pour l’effort commun, dans l’espoir de l’heure prochaine de justice et de paix. Il faut rendre, et mourir ainsi la conscience nette, le cœur joyeux du devoir accompli, et laisser ainsi la leçon réparatrice, libératrice, au dernier de sa race, afin qu’il la relève qu’il la sauve de l’erreur, qu’il la continue en force, en joie et en beauté.

«  Il faut rendre, il faut rendre, il faut rendre…  »

Des larmes avaient paru dans les yeux de Suzanne, en voyant l’exaltation où les paroles de l’aïeul jetaient son fils Paul, pendant que Boisgelin témoignait sa sourde irritation par des mouvements d’impatience.

«  Mais, grand-père, demanda-t-elle, à qui et comment voulez-vous qu’on rende  ?   »

Le vieillard tourna vers Luc ses yeux de lumière.

«  Si j’ai désiré que le créateur de la Crêcherie fût là, c’était pour qu’il m’entendît et pour qu’il vous aidât, mes enfants… Il a déjà beaucoup travaillé à l’œuvre de réparation, lui seul peut s’entremettre et rendre ce qui reste de notre fortune aux camarades, aux fils, aux petits-fils des camarades d’autrefois.  »

Luc, que l’émotion étranglait aussi devant ce spectacle