Page:Zola - Travail.djvu/476

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Des années s’écoulèrent. Luc avait cédé aux Boisgelin une des petites maisons de la Crêcherie, bâtie à quelque distance du pavillon qu’il occupait toujours. Et les premiers temps de cette existence médiocre furent très durs pour Boisgelin, qui ne s’était pas résigné sans de violentes révoltes. Un instant, il avait même voulu partir pour Paris y vivre à son gré, au hasard. Mais son oisiveté de naissance, l’impossibilité où il était de gagner sa vie le rendaient d’une faiblesse d’enfant, le livraient aux mains de qui voulait le prendre. Depuis les désastres, Suzanne, si raisonnable si douce, mais si ferme, avait sur lui une autorité absolue, et il finissait toujours par faire ce qu’elle voulait, comme un pauvre être désemparé, emporté au gré de l’existence. Bientôt, parmi ce monde actif de travailleurs, la paresse lui pesa tellement, qu’il en vint à désirer une occupation. Il était las de se traîner la journée entière il souffrait d’une sourde honte, d’un besoin d’agir, n’ayant plus l’inutile fatigue d’une grande fortune à gérer et à manger. L’hiver encore, il lui restait la chasse, mais, dès les beaux jours, en dehors de quelques promenades à cheval, l’ennui morne l’écrasait. Aussi accepta-t-il, lorsque Suzanne décida Luc à lui confier une inspection, une sorte de contrôle dans les magasins généraux, trois heures de son temps à donner par jour. Sa santé qui avait souffert, se raffermit un peu, sans qu’il cessât de se montrer inquiet, avec l’air éperdu et malheureux d’un homme qui serait tombé sur une autre planète.

Et des années s’écoulèrent encore. Suzanne était devenue l’amie, la sœur de Josine et de Sœurette, les aidant, partageant leurs travaux. Toutes trois entouraient Luc, le soutenaient, le complétaient, étaient comme sa bonté, sa tendresse, sa douceur agissantes. Il les appelait en souriant ses trois vertus, et il les disait, à des titres différents, l’expansion même de son amour, les messagères de