Page:Zola - Travail.djvu/499

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moi, dans ma poche, pour les dépenser à ma guise, en choses qui me plaisent… Je suis malheureuse, très malheureuse  !   »

Elle exagérait, voulant lui être désagréable, mais elle disait vrai pourtant, elle ne s’était pas acclimatée à la Crêcherie, elle y souffrait dans un atavisme de femme coquette et dépensière, dont la solidarité communiste blessait tous les instincts. Ménagère propre et active, caractère exécrable, têtue, bornée, quand ce n’était pas son plaisir de comprendre, elle continuait à changer en enfer son ménage, malgré ses qualités, malgré le grand bien-être où la maison aurait dû s’épanouir maintenant.

Bonnaire se laissa emporter à lui dire  :

«  Tu es folle, c’est toi qui fais ton malheur et le nôtre  !   »

Alors, elle sanglota. Lucien, gêné, lorsqu’une de ces disputes éclatait entre ses parents, dut sortir de son silence et l’embrasser en lui jurant qu’il l’aimait, qu’il la respectait. Mais elle s’acharnait quand même, elle cria encore à son mari  :

«  Tiens  ! demande-le à mon père, ce qu’il en pense, de votre usine en actions, de cette fameuse justice et de ce fameux bonheur qui vont régénérer le monde. Lui est un ancien ouvrier, tu ne l’accuseras pas de dire des bêtises comme une femme, et il a soixante-dix ans, tu dois en croire sa sagesse.  »

Puis, se tournant vers le père Lunot, qui suçait le tuyau de sa pipe, d’un air de béate enfance  :

«  N’est-ce pas, père, qu’ils sont idiots, avec toutes leurs machines pour se passer des patrons, et que c’est encore eux qui s’en mordront les doigts  ?   »

Le vieillard, ahuri, la regarda, avant de répondre d’une voix sourde  :

«  Bien sûr… Les Ragu et les Qurignon, ah  ! c’étaient des camarades autrefois  ! Il y a eu M. Michel, qui était mon aîné de cinq ans. Moi, c’est sous M. Jérôme,