Page:Zola - Travail.djvu/501

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va pas chercher midi à quatorze heures. L’argent, c’est l’argent, et quand on a l’argent, on est le maître, voilà  !   »

Bonnaire haussa ses fortes épaules, tandis que Lucien silencieux regardait par la fenêtre les rosiers fleuris du jardin. À quoi bon discuter  ? Elle était le passé têtu, elle mourrait dans le paradis communiste, au sein du bonheur fraternel, en le niant, en regrettant le temps de misère noire, où elle attendait d’avoir économisé dix sous pour courir s’acheter un ruban.

Babette Bourron, justement, entra, et elle, toujours gaie, était au contraire dans un continuel ravissement de sa situation nouvelle. Elle avait, par le réconfort de son optimisme souriant, aidé à sauver son homme, Bourron le simple, du gouffre où devait culbuter Ragu. Toujours elle s’était montrée confiante dans l’avenir, certaine que les choses s’arrangeraient très bien, inventant parfois, pour remplacer le pain absent, des histoires d’extraordinaires bonheurs, tombés du ciel. Et, comme elle le disait en plaisantant, cette Crêcherie où le travail devenait propre, aimable et honorifique, où l’on vivait au milieu de toutes les douceurs, réservées jadis aux bourgeois seuls, n’était-ce pas son paradis qui se réalisait  ? Aussi sa figure poupine, restée fraîche, sous un gros chignon noué à la diable, rayonnait-elle de la joie d’avoir un homme guéri de la boisson, avec deux beaux enfants qu’elle marierait bientôt, dans une maison à elle, belle et joueuse comme une maison de riches.

«  Eh bien  ! c’est donc décidé, cria-t-elle, Lucien va l’épouser, sa Louise Mazelle, cette petite bourgeoise si charmante, qui n’a pas honte de nous  ?

— Qui vous a dit ça  ? demanda rudement la Toupe.

— Mais c’est Mme Luc, c’est Josine, que j’ai rencontrée ce matin.  »

La Toupe devint blanche de colère contenue. Dans son irritation inapaisée,