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et de joie, qu’une acclamation sans fin roula, d’un bout à l’autre des chaumes. On leur criait des tendresses, on les aimait, on les célébrait, parce qu’ils étaient l’amour souverain et victorieux, cet amour dont la flamme avait rapproché déjà ce peuple, en lui donnant la virilité de ces moissons débordantes, au sein desquelles il pullulerait désormais, un peuple uni, libre, ignorant la haine et la faim.

Ce jour-là, d’autres mariages se décidèrent, comme il était arrivé aux noces de Lucien Bonnaire et de Louise Mazelle. Mme Mitaine, l’ancienne boulangère, qui, malgré ses soixante-cinq ans, était restée la belle Mme Mitaine, embrassa Olympe Lenfant, la sœur de l’un des mariés, en lui disant qu’elle serait heureuse de l’appeler sa fille, car son fils Évariste lui avait confessé qu’il l’adorait. Depuis une dizaine d’années, la belle boulangère avait perdu son mari et ne tenait plus la boutique, fondue elle aussi dans les magasins généraux de la Crêcherie, à l’exemple de presque tout le commerce de détail de la ville. Elle vivait en bonne travailleuse retraitée, avec son Évariste, très fière de ce que Luc leur avait confié la direction des pétrins électriques, d’où sortait maintenant en abondance un pain léger et blanc, pour le peuple entier. Et, comme Évariste à son tour embrassait Olympe rose de plaisir, en guise de fiançailles, Mme Mitaine reconnut en une petite vieille, maigre et noire, assise au pied d’une meule, son ancienne voisine, Mme Dacheux, la bouchère. Elle vint s’asseoir près d’elle.

«  N’est-ce pas  ? lui dit-elle gaiement, il faut bien que ça finisse par des mariages, puisque tout ce petit monde, autrefois, jouait ensemble.  »

Mais Mme Dacheux restait muette et sombre. Elle aussi avait perdu son mari, mort, à la suite d’un coup maladroit de couperet, qui lui avait abattu la main droite. Selon certaines gens, la maladresse n’y était pour rien,