Page:Zola - Travail.djvu/519

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brutalisait en rêve, avec des diaboliques menaces. La triste femme insignifiante, toujours ahurie avait cette malchance dernière de ne pas même trouver un peu de paix dans son veuvage.

«  Si je mariais Julienne contre son gré, conclut-elle, il reviendrait pour sûr chaque nuit m’injurier et me battre.  »

Elle pleurait, et Mme  Mitaine la réconforta en lui affirmant que ses cauchemars, au contraire, s’en iraient, si elle faisait du bonheur autour d’elle. Justement, Natalie, la plaintive Mme  Fauchard, sans cesse à la recherche autrefois des quatre litres de son homme, s’était approchée, de son pas hésitant. Elle ne souffrait plus à cette heure de la misère noire, elle occupait une des petites maisons claires de la Crêcherie, avec Fauchard, qui venait de cesser tout travail, infirme, hébété. Elle logeait aussi chez elle son frère Fortuné, âgé de quarante-cinq ans à peine, et dont la besogne de brute, machinale, uniforme, dès l’âge de quinze ans, à l’Abîme, avait fait un vieillard précoce, à demi aveugle et sourd. Aussi, malgré le bien-être qu’elle devait au système nouveau de pensions et d’aide mutuelle, était-elle restée dolente, lamentable débris du passé, avec ses deux hommes, ses deux enfants sur les bras, comme elle disait. C’était la leçon, l’exemple des hontes et des douleurs du salariat, légué aux générations jeunes.

«  Vous n’avez pas vu mes hommes  ? demanda-t-elle à Mme  Mitaine. Je les ai perdus dans la foule… Ah  ! les voici.  »

Et l’on vit passer, au bras l’un de l’autre, soutenant leur marche tremblante, les deux beaux-frères, Fauchard ruiné, fini, tel que le revenant du travail déshonoré et douloureux, Fortuné moins âgé, tout aussi anéanti, comme frappé d’imbécillité. Et, dans la foule si vigoureuse, si débordante de vie nouvelle et d’espoir, au milieu