Page:Zola - Travail.djvu/528

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l’air d’un homme prêt à faire le saut dans cet enfer effroyable. Un ouvrier de son équipe l’avait sauvé de cette mort, le dernier don de sa vieille chair au monstre tout ce qui restait de sa carcasse cuite et recuite cent fois, comme s’il eût mis sa gloire à finir par le feu, tant aimé et servi fidèlement depuis plus d’un demi-siècle.

«  C’est bien, cela, mon brave Morfain, d’être curieux à votre âge, dit Luc, sans le quitter des yeux. Regardez ces joujoux.  »

La batterie des dix fours s’alignait, dix cubes de briques rouges de deux mètres de hauteur sur un mètre cinquante de largeur. Et l’on voyait seulement, au-dessus, l’armature des puissantes électrodes, des épais cylindres de charbon, à laquelle venaient s’attacher les câbles, conducteurs de l’électricité. L’opération était très simple. Une vis sans fin, qui obéissait à un bouton, desservait les dix fours, charriait le minerai et le versait dans chacun d’eux. Un deuxième bouton établissait le courant, l’arc dont l’extraordinaire température de deux mille degrés pouvait fondre deux cents kilogrammes de métal en cinq minutes. Et il suffisait de tourner un troisième bouton pour que la porte de platine fermant chaque four se soulevât, et pour qu’une sorte de trottoir roulant, garni de sable fin, se mît en marche, recevant les dix gueuses de deux cents kilogrammes, qu’il emportait ensuite à l’air froid du dehors.

«  Eh bien  ! mon brave Morfain, reprit Jordan, avec sa joie d’enfant heureux, qu’en dites-vous  ?   »

Et il lui expliqua le rendement. Ces joujoux-là, à deux cents kilogrammes de fonte chacun, toutes les cinq minutes, arrivaient ensemble à un total de deux cent quarante tonnes par jour, en les faisant travailler seulement pendant dix heures. C’était un rendement prodigieux, surtout si l’on songeait que l’ancien haut fourneau, brûlant jour et nuit, n’atteignait pas le tiers de