Page:Zola - Travail.djvu/564

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qu’il emportait. Les enfants voulurent faire marcher eux-mêmes le mécanisme, et quelle joie, ce travail si aisé, après le récit déjà légendaire des travaux de Morfain, qui semblaient les travaux d’un géant douloureux, dans un monde disparu  !

Mais il y eut une apparition, et les écoliers en promenade troublés, s’envolèrent. Luc aperçut de nouveau Boisgelin, debout à une porte du hangar, épiant, surveillant le travail d’un regard soupçonneux et courroucé de maître qui s’inquiète, dans la continuelle crainte d’être volé par ses hommes. On le rencontrait souvent ainsi, sur tous les points de l’usine, éperdu de ne pouvoir en inspecter à la fois l’immensité, devenu de plus en plus fou à l’idée des millions qu’il perdait par jour, en n’arrivant pas à contrôler par lui-même la besogne de ce peuple qui lui gagnait des milliards. Ils étaient trop, il ne parvenait pas à les voir tous, il succombait dans la bonne administration d’une fortune démesurée, dont le poids l’écrasait, comme si le ciel lui fût tombé sur la tête. Et il était si hagard, si épuisé de battre inutilement les ateliers des travailleurs, lui qui n’avait jamais rien fait de ses dix doigts, que Luc, pris d’une grande pitié, voulut cette fois le rejoindre, pour tâcher de le calmer et de le ramener doucement à sa demeure. Mais Boisgelin se tenait sur ses gardes, il fit un saut en arrière, il disparut au pas de course, du côté des grandes halles.

Et sa promenade du matin étant finie, Luc rentra chez lui. Il ne pouvait plus tout visiter, depuis que sa ville s’élargissait sans cesse, il ne se promenait plus, au travers des quartiers si nombreux, qu’en créateur reposé et heureux de voir sa création se multiplier d’elle-même, envahir peu à peu toute la plaine. L’après-midi, ce jour-là, parés être retourné donner un coup d’œil aux magasins généraux, il entra passer une heure chez les Jordan, comme le jour allait baisser. Dans le petit salon,