Page:Zola - Travail.djvu/568

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elles donc se guérir, la honte et le crime devaient-ils disparaître avec la misère  ? Il avait suffi que le travail fût réorganisé selon la justice, pour que déjà se fût accomplie une meilleure répartition de la richesse. Et, quand le travail serait l’honneur, la santé, la joie, une humanité de paix et de fraternité peuplerait enfin la Cité heureuse.

Jordan, sur le canapé, enveloppé dans son châle, n’avait pas un mouvement, voyageant sans doute à travers les espaces infinis, où se perdait son regard. Lorsque l’abbé Marle et Hermeline furent partis, il finit par s’éveiller. Et, sans quitter des yeux le coucher de l’astre, dont il semblait suivre la lente disparition avec un intérêt passionné, il dit comme en un rêve  :

«  Chaque fois que je vois le soleil se coucher, je suis pris d’une tristesse infinie et d’une cruelle inquiétude. S’il ne revenait pas, s’il ne se relevait plus sur la terre noire et glacée, quelle terrible mort pour toute vie  ! C’est lui le père, c’est lui le fécondateur, l’engendreur, sans lequel les germes se dessécheraient ou pourriraient. Et c’est en lui qu’il faut mettre notre espoir de soulagement et de bonheur futur, car s’il ne nous aidait pas, la vie finirait par se tarir un jour.  »

Luc s’était mis à sourire. Il savait que Jordan, malgré son grand âge, ses soixante-quinze ans bientôt, étudiait depuis plusieurs années l’ardu problème de capter la chaleur solaire, de façon à l’emmagasiner, dans de vastes réservoirs, d’où il la distribuerait ensuite comme l’unique, la grande et éternelle force vivante. Un temps viendrait où le charbon s’épuiserait au fond des mines, et où prendrait-on alors l’énergie nécessaire, le torrent d’électricité devenu indispensable à l’existence  ? Grâce à ses premières découvertes, il était parvenu à donner la force électrique presque pour rien. Mais quelle victoire, s’il réussissait à faire du soleil le moteur universel, s’il puisait