Page:Zola - Travail.djvu/569

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directement en lui cette puissance calorifique endormie dans le charbon, s’il l’employait comme le fécondateur unique, le père même de l’immortelle vie  ! Il n’avait plus que cette dernière découverte à réaliser, et son œuvre serait accomplie, il pourrait mourir.

«  Soyez tranquille, dit Luc gaiement, le soleil se lèvera demain, et vous achèverez de lui ravir le feu sacré, la divine flamme, créatrice et travailleuse éternelle.  »

Sœurette, s’inquiétant du petit vent du soir, dont les souffles frais entraient par la fenêtre, vint demander à son frère  :

«  Tu n’as pas froid, veux-tu que je ferme  ?   »

Mais il refusa du geste, il se laissa seulement envelopper jusqu’au menton dans le grand châle. Il semblait ne plus vivre que par un miracle, uniquement parce qu’il voulait vivre, ayant ajourné la mort au soir de son dernier jour de travail, le soir triomphant, où, la tâche faite, l’œuvre debout, il dormirait enfin son bon sommeil d’ouvrier loyal et satisfait. Sa sœur redoublait de précautions, des soins extrêmes le prolongeaient, lui donnaient encore par journée les deux heures d’énergie physique et intellectuelle, dont il utilisait merveilleusement chaque minute, à force de méthode. Et ce pauvre être chétif, très vieux, à demi mort, que le moindre courant d’air menaçait de supprimer, achevait de conquérir et de gouverner le monde, simplement en travailleur têtu, qui ne lâchait pas sa besogne.

«  Vous vivrez cent ans  », dit encore Luc avec son rire affectueux.

À son tour, Jordan s’égaya.

«  Mais sans doute, si cent ans me sont nécessaires.  »

De nouveau, il se fit un grand silence, dans le petit salon d’une intimité attendrie. Cela était délicieux, ce lent crépuscule tiède qui envahissait le parc, dont les allées profondes se noyaient d’une ombre croissante. Une