Page:Zola - Travail.djvu/588

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celle du lendemain, la fête de l’été, s’égayait de toutes les fleurs et de tous les fruits de la terre, débordait en une abondance prodigieuse des richesses conquises, en une splendeur souveraine des horizons et du ciel, où flambait le puissant soleil de juin.

Ragu était retombé dans son inquiétude sombre, dans la sourde crainte de trouver, à Beauclair, l’antique rêve du bonheur social réalisé enfin. Est-ce que, vraiment, après avoir traversé, au milieu de luttes douloureuses, tant de pays en gésine de la société de demain, il allait la voir presque installée déjà, en cette ville, la sienne, qu’il avait dû fuir, un soir de folie homicide  ? Ce bonheur si furieusement cherché partout, il se créait là, chez lui, pendant son absence  ; et, quand il revenait, c’était uniquement pour constater la félicité des autres, à l’heure où lui-même ne pouvait plus compter sur aucune joie. Cette idée d’avoir ainsi, jusqu’au bout, manqué sa vie, achevait de l’anéantir, dans sa fatigue et sa misère, tandis qu’il finissait en silence la bouteille de vin posée devant lui. Et, lorsque Bonnaire se leva pour le mener à sa chambre, une pièce blanche, avec un grand lit blanc, et qui sentait bon, il le suivit d’un pas alourdi, souffrant de cette hospitalité si large, si fraternelle, en son aisance heureuse.

«  Dors bien, mon brave, à demain matin.

— Oui, à demain matin, si tout ce sacré monde n’a pas croulé pendant la nuit.  »

Cependant, Bonnaire, après s’être également couché, eut quelque peine à s’endormir. Lui aussi restait tourmenté, en se demandant quelles pouvaient être les intentions de Ragu. À dix reprises, il avait résisté au désir de l’interroger directement, par crainte de provoquer une explication dangereuse. N’était-il pas préférable de se réserver, puis d’agir selon les circonstances  ? Il redoutait quelque scène atroce, ce misérable vagabond, fou de