Page:Zola - Travail.djvu/616

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on rompait le pain et l’on buvait le vin publiquement, les tables finissaient par se rapprocher, ne faisaient plus qu’une table, changeaient la ville en une immense salle de festin, où le peuple devenait une seule et même famille.

Dès sept heures, comme le soleil resplendissait encore, les tables furent dressées, ornées de roses, de la pluie de roses qui embaumait Beauclair, depuis le matin. Les nappes blanches, les vaisselles peintes, les verreries et les argenteries s’égayaient, s’allumaient de la pourpre du couchant. L’argent monnayé tendant à disparaître, chacun avait son gobelet d’argent, comme jadis on avait un gobelet d’étain. Et Bonnaire voulut absolument que Ragu prît place à sa table, à la table de sa petite-fille Claudine, qui avait épousé un fils de Luc, Charles Froment.

«  Je vous amène un convive, dit-il simplement, sans le nommer. C’est un étranger, un ami.  »

Et tous répondirent  :

«  Il est le bienvenu.  »

Bonnaire garda Ragu près de lui. Mais la table était longue, quatre générations s’y coudoyaient. L’ancêtre, Bonnaire, y voyait son fils Lucien et sa belle-fille Louise Mazelle, ayant tous les deux dépassé la cinquantaine  ; il y voyait sa petite fille Claudine et son beau-petit-fils Charles Froment, dans leur maturité  ; et il y voyait son arrière-petite-fille Alice, une gamine délicieuse de huit ans. Toute une parenté compliquée suivait. Et il expliqua qu’il aurait fallu une table géante, si ses trois autres enfants, Antoinette Zoé et Séverin, n’avaient pas accepté de dîner à des tables voisines chez leurs enfants à eux. Il en plaisantait, il disait qu’au dessert on voisinerait, de façon à être quand même tous ensemble.

Ragu regardait surtout Louise Mazelle, jolie et vive encore, avec sa fine tête de chèvre capricieuse. La vue de cette fille de bourgeois si tendre toujours pour son mari Lucien,