Page:Zola - Travail.djvu/62

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en gerbe, jusqu’aux vitres poussiéreuses de la toiture. Et, lorsqu’un ouvrier, pour les besoins du travail, ôtait un des couvercles, on eût dit que l’astre émergeait en entier des obstacles, toute la salle s’allumait d’une clarté d’aurore.

Justement Luc put suivre l’opération. Des ouvriers chargeaient un four, il les vit descendre les creusets de terre réfractaire, préalablement rougis, puis y verser, à l’aide d’un entonnoir, le mélange des caissettes, une caissette de trente kilogrammes par chaque creuset. Pendant trois ou quatre heures, la fusion allait se faire. Ensuite, ce seraient les creusets enlevés et vidés, l’arrachage et le coulage, la besogne meurtrière. Et, comme il s’approchait d’un autre four, où les aides, armés de longues tiges, venaient de s’assurer que la fusion était complète, il reconnut Fauchard dans l’arracheur chargé de retirer les creusets. Blême, desséché, la face maigre et cuite, Fauchard avait gardé des jambes et des bras d’hercule. Déformé physiquement par la terrible besogne, toujours pareille, qu’il faisait depuis quatorze ans déjà, il avait plus souffert encore dans son intelligence de ce rôle de machine, aux gestes éternellement semblables, sans pensée, sans action individuelle, devenu lui-même un élément de lutte avec le feu. Ce n’était pas assez de ses tares physiques, les épaules remontées, les membres hypertrophiés, les yeux brûlés, pâlis à la flamme, il avait la conscience de sa déchéance intellectuelle ; car, pris à seize ans par le monstre, après une instruction rudimentaire, brusquement arrêtée, il se souvenait d’avoir été intelligent, d’une intelligence qui vacillait et s’éteignait à cette heure, sous la meule implacable qu’il tournait en bête aveuglée, sous l’écrasement du métier empoisonneur et destructeur. Et il n’avait plus qu’un besoin, qu’une joie : boire, boire ses quatre litres, par journée ou par nuit de travail, boire pour que le four