Page:Zola - Travail.djvu/626

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superbe de jeunesse encore, de foi, de joie triomphale. Sans orgueil ni emphase, il disait simplement son bonheur de voir son œuvre enfin vivante et solide. Il était le Fondateur, le Créateur, le Père, et tout ce peuple en joie tous ces convives à toutes ces tables, où l’on fêtait, avec le Travail, les fécondités de l’été, étaient son peuple, ses amis, ses parents, sa famille sans cesse élargie, de plus en plus fraternelle et prospère. Et une acclamation accueillit le vœu d’ardente tendresse qu’il portait à sa ville, monta dans l’air du soir, roula de table en table, jusqu’aux lointaines avenues. Tous s’étaient mis debout, levaient à leur tour leur verre, buvaient à la santé de Luc et de Josine, le couple de héros, les patriarches du travail, elle, la rachetée, glorifiée comme épouse et comme mère, lui, le rédempteur, qui, pour la sauver, avait sauvé de l’iniquité et de la souffrance le misérable monde du salariat. Et ce fut une minute d’exaltation et de magnificence, la gratitude passionnée de l’immense foule, la récompense de tant de foi active, l’entrée définitive dans la gloire et dans l’amour.

Alors, Ragu trembla de tous ses membres, frissonnant et blême sous le vent d’apothéose qui passait. Il ne put supporter l’éclat de beauté et de bonté, dont rayonnaient Luc et Josine. Il recula, et il chancelait, sur le point de fuir, lorsque Luc, qui l’avait remarqué se tourna vers Bonnaire.

«  Ah  ! mon ami, vous manquiez à ma joie, car vous avez été un autre moi-même, le plus brave, le plus sage, le plus fort ouvrier de l’œuvre, et on ne doit pas me fêter, sans vous fêter aussi… Et dites-moi, quel est ce vieillard qui se trouve avec vous  ?

— C’est un étranger.

— Un étranger  ! qu’il s’approche, qu’il rompe avec nous le pain de nos moissons, et qu’il boive l’eau de nos sources  ! Notre ville est une ville de bon accueil et de