Page:Zola - Travail.djvu/629

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tombait une paix délicieuse, souveraine, l’harmonie des mondes et des hommes.

Bonnaire n’était pas intervenu, ne perdant pas Ragu des yeux, regardant s’accomplir en lui le changement qu’il attendait, après cette journée dont les surprises l’avaient ébranlé, une à une, jusqu’à ce resplendissement final qui le terrifiait et l’emportait. Et il le sentit si frappé, si chancelant, qu’il lui donna la main.

«  Viens, marchons un peu, l’air du soir est si doux… Dis-moi, crois-tu maintenant à notre bonheur  ? Tu le vois bien, on peut travailler et être heureux, car la joie, la santé, la vie parfaite est dans le travail. Travailler, c’est vivre, simplement. Et il a fallu une religion de souffrance et de mort pour faire du travail une malédiction et pour mettre la félicité de son paradis dans l’éternelle paresse… Le travail n’est pas notre maître, il est le souffle de notre poitrine, le sang de nos veines, notre unique raison d’aimer, d’enfanter, d’être l’humanité immortelle.  »

Mais Ragu, dans sa défaite, cessait de discuter, comme brisé de fatigue, las à en mourir.

«  Oh  ! laisse-moi, laisse-moi… Je ne suis qu’un lâche, un enfant aurait eu plus de courage, et je me méprise.  »

Puis, à voix basse  :

«  J’étais venu pour les tuer tous les deux… Ah  ! l’interminable voyage, des routes et des routes encore, des années de courses vagues, au travers de pays inconnus, avec cette unique rage au cœur, revenir à Beauclair, retrouver cet homme et cette femme, pour leur planter dans la chair le couteau dont je m’étais si mal servi  ! … Et voilà que tu m’as amusé, voilà que je viens de trembler devant eux, de reculer comme un lâche, en les voyant si beaux, si grands, si radieux  !   »

À cette confession, Bonnaire avait frémi. La veille, il s’était bien douté du crime, au frisson noir qui passait. Maintenant,