Page:Zola - Travail.djvu/656

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est un foyer d’attraction, où tous les peuples voisins viennent forcément se fondre. Les petites villes des environs, Saint-Cron, Formeries, Magnolles, avaient dû suivre l’exemple de Beauclair, s’étaient peu à peu groupées, associées, puis avaient fini par être un simple prolongement de la ville initiatrice. Il suffisait d’avoir tenté l’expérience en petit, on gagnait de proche en proche l’arrondissement, le département, le pays entier. C’était l’irrésistible bonheur en marche, rien ne pourra faire obstacle à la force du bonheur réalisé, quand les hommes en auront la perception nette et décisive. Il n’y a jamais eu qu’une lutte humaine, la lutte pour le bonheur, et elle est au fond de toute religion, de tout gouvernement. L’égoïsme n’est que l’effort individuel pour tirer à soi le plus de bonheur possible  ; et pourquoi chaque citoyen ne mettrait-il pas son égoïsme à traiter les autres citoyens en frères, le jour où il sera convaincu que la félicité de chacun est dans la félicité de tous  ? Si les intérêts se trouvaient en lutte, c’était que l’ancien pacte social les voulait différents, les opposait les uns aux autres, en faisant de la guerre la nécessité vivante, l’âme même des sociétés. Mais que le contraire soit démontré, que le travail réorganisé répartisse justement la richesse, que les passions libérées et agissantes aboutissent à l’unité, à l’harmonie, et aussitôt la paix se fait, le bonheur s’établit, en un fraternel contrat de solidarité. Pourquoi se battre, lorsque les intérêts ne s’opposent plus  ? Depuis tant de siècles, si l’humanité avait mis à conquérir le monde, à soumettre les forces naturelles, les efforts acharnés et douloureux des générations, cette somme prodigieuse des efforts, du sang et des larmes, qu’elle a dépensés à s’entre-dévorer, il y a longtemps qu’elle serait la reine indiscutée, souverainement joyeuse, des êtres et des choses. Le jour où elle s’est aperçue de son imbécile démence, où l’homme a cessé d’être un loup