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s’était donnée sans le savoir dans le rêve du héros qu’elle aurait voulu encourager, aider de sa tendresse  ; et, le jour où son cœur avait parlé, le héros était aux bras d’une autre amante, une amie seule pouvait encore prendre place à son foyer. Cette amie, elle l’était depuis des années nombreuses, avec une infinie douceur, une sérénité de tout son être trouvant enfin la paix parfaite dans la communion de cœur et d’esprit où elle vivait avec l’homme qui était devenu son frère. Et cette amitié sans doute, pour elle comme pour Sœurette, n’était si délicieuse, que grâce au brasier d’amour dont elle était née et dont elle gardait le feu éternel.

Ainsi, Luc, très vieux, très grand, très beau, achevait de vivre dans l’amour des trois femmes très vieilles, très grandes et très belles. Lui, avec sa haute taille que ses quatre-vingt-cinq ans n’avaient pas courbée, demeurait sain et fort, d’une solidité de chêne. Seules, ses jambes s’étaient raidies, comme pour le clouer là devant sa fenêtre, en spectateur heureux, maintenant que sa ville était fondée. Au-dessus de son front, en forme de tour, ses épais cheveux, dont pas un n’était tombé, avaient simplement blanchi, le coiffant d’une crinière, la débordante crinière blanche d’un vieux lion au repos. Et ses derniers jours s’éclairaient, s’embaumaient de cette adoration dont l’entouraient Josine, Sœurette et Suzanne. Il les avait aimées, il les aimait toutes les trois, de son vaste amour, d’où s’épanchaient tant de désir, tant de fraternité, tant de bonté un flot où roulait la vie, avec ses passions sans nombre, fleuve, immense auquel tous les cœurs peuvent boire. Et l’amante, et les amies, il les embrassait les unes et les autres d’une même étreinte humaine, pour faire encore et encore plus de vie, plus de bonheur.

Mais des signes apparurent. Ainsi que Jordan sans doute, l’œuvre étant faite, Luc allait mourir. Un sommeil