Page:Zola - Travail.djvu/669

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large horizon, de l’autre côté des monts Bleuses, et là-bas, après le vague infini de la Roumagne, que devient le vaste monde, où les provinces et les nations en sont-elles de la longue lutte, de la rude et sanglante marche vers la Cité heureuse  ?   »

De nouveau, il se tut, envahi de pensées. Il n’ignorait pas que l’évolution s’accomplissait partout, se propageant à chaque heure avec une vitesse accrue. Des simples villes, le mouvement avait gagné les provinces, puis la nation entière, puis les nations voisines  ; et il n’y avait plus de frontières, plus de montagnes, plus d’océans infranchissables, la délivrance volait d’un continent à l’autre, balayant les gouvernements et les religions, unissant les races. Seulement, dans cette reconstruction de l’humanité, les événements ne s’accomplissaient pas partout de la même façon. Tandis que Beauclair évoluait sans trop de luttes, grâce à l’expérience tentée avec l’association, en un lent acheminement vers toutes les libertés, la révolution éclatait ailleurs, le sang coulait, parmi les massacres et les incendies. Il n’était pas deux États voisins qui eussent pris la même route, et c’était par les chemins les plus différents, les plus contraires, que tous les peuples allaient se rencontrer en la même fraternelle Cité, la métropole enfin conquise de la fédération humaine.

Et Luc reprit, comme en un rêve, de sa voix qui s’affaiblissait  :

«  Ah  ! je voudrais savoir, oui  ! avant de quitter mon œuvre, je voudrais savoir jusqu’où, dès aujourd’hui, la grande besogne est faite… Je dormirais mieux, j’emporterais encore plus de certitude et d’espérance.  »

Il y eut un autre silence. Comme lui, Josine, Sœurette et Suzanne très vieilles, très belles et très bonnes, rêvaient toujours, les yeux au loin.

Puis, ce fut Josine qui commença.