Page:Zola - Travail.djvu/673

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terre. Peu à peu, l’anarchie en était alors venue à se fondre dans l’évolution communiste, car elle n’était en réalité qu’une négation politique, elle différait simplement des autres sectes socialistes par sa volonté de tout abattre pour tout reconstruire. Elle acceptait l’association, les groupes libres vivant d’échangés, sans cesse en état de circulation, se dépensant et se reconstituant, comme le sang même du corps, et le grand Empire où elle avait triomphé, parmi les massacres et les incendies, est allé rejoindre les autres peuples libérés, dans la fédération universelle.  »

Sœurette cessa de parler, immobile et rêveuse, le coude appuyé au dossier du fauteuil. Et Luc dit avec lenteur, de sa voix qui s’embarrassait  :

«  Oui, au dernier jour, au seuil de la terre promise les anarchistes après les collectivistes, devaient rejoindre les disciples de Fourier. Si les chemins étaient différents, le but restait commun.  »

Puis, après une songerie, il dit encore  :

«  Que de larmes, que de sang, que d’abominables guerres, pour conquérir la paix fraternelle, voulue également par tous  ! Tant de siècles d’égorgement fratricide parmi les hommes, lorsque la question était simplement de savoir s’il fallait passer à droite ou à gauche, pour arriver plus vite au bonheur final  !  »

Silencieuse jusqu’alors, Suzanne, assise, et les yeux, elle aussi, perdus par-delà les horizons, prit enfin la parole, dans un grand frisson de pitié.

«  Ah  ! la dernière guerre, la dernière bataille  ! Elles furent si terribles, que les hommes, à jamais, en ont brisé leurs épées et leurs canons… C’était au début des grandes crises sociales qui viennent de renouveler le monde, et j’ai su ces effroyables choses par des hommes dont la raison avait failli se perdre, au milieu de ce choc suprême entre les nations. Dans la crise affolée des