Page:Zola - Travail.djvu/89

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teinte à la bouche, venait, en s’appuyant aux murs, de gagner l’étroite chambre où il couchait. Et Bonnaire tombé à son tour sur une chaise, muet au milieu de la pièce désolée, les yeux perdus au loin, dans l’avenir menaçant, attendait d’aller se mettre au lit, à côté de sa terrible femme.

« Bon courage », dit Luc en lui serrant vigoureusement la main.

Sur le palier, Ragu continuait d’appeler, d’une voix qui se faisait suppliante.

« Josine ! allons, Josine !… Quand je te dis que je ne suis plus fâché ! »

Et, comme les ténèbres restaient mortes, il se tourna vers Nanet, qui ne s’en mêlait pas, laissant sa grande libre d’agir à sa guise.

« Elle s’est peut-être sauvée.

— Oh ! non, où veux-tu qu’elle aille ?… Elle a dû se rasseoir sur une marche. »

Luc descendait, s’aidant de la corde grasse, tâtant du pied les marches raides et hautes, avec la crainte de culbuter, tellement l’obscurité était profonde. Il lui semblait s’enfoncer dans le noir d’un gouffre, par une mince échelle, entre deux murs humides. Et, à mesure qu’il descendait, il croyait entendre de gros sanglots étouffés, venant d’en bas, du fond douloureux de l’ombre.

En haut, la voix de Ragu reprit, résolue :

« Josine ! Josine !… Si tu ne montes pas, c’est donc que tu veux que j’aille te chercher ! »

Alors, Luc s’arrêta, sentant la venue d’un petit souffle. C’était comme une douceur tiède qui s’avançait, un léger frisson vivant, à peine deviné, d’une tremblante approche. Et il s’effaça contre le mur, car il comprenait bien qu’une créature allait passer, invisible, reconnaissable seulement au discret frôlement de son corps.