Page:Zola - Une farce, 1888.djvu/12

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Dès le lendemain, les plaisanteries recommencent. Louise, pourtant, devient rêveuse. Le jour où Planchet a gardé le lit, elle lui a monté deux fois de la tisane. On se moque des gens, mais ce n’est pas une raison pour les faire crever. D’ailleurs, il n’est pas plus ridicule qu’un autre, ce Planchet, un peu long peut-être.

Un soir, après une promenade en canot, une de ces promenades furibondes d’où l’on ramène le canot en pièces, pour l’avoir jeté contre les pierres des berges, une discussion s’élève sur la réalité dans l’art. Morand, de son ton doctoral de critique, déclare que les réalistes vont trop loin. Ainsi, ils ne peuvent tout reproduire dans la nature.

— Crétin ! crie Bernicard exaspéré.

— Écoutez-moi…

— Idiot ! dit à son tour Chamborel.

Mais Laquerrière prend parti pour Morand.

Louise, qui ne les écoute pas, les interrompt tout d’un coup. Planchet vient d’aller chercher des allumettes.

— Dites donc, ce sera pour demain, si vous voulez… Je dis à Planchet que je file avec lui. Puis, quand il sera dans le train, je le traite de jobard, et je m’esquive.

La farce est bonne. Le lendemain, Louise disparaît avec Planchet. Mais la bande va se cacher dans un bouquet d’arbres, de l’autre côté de la gare. Et, quand le train est sur le point de partir, on se montre, pour blaguer.

— Tiens ! dit Chamborel, Louise qui reste à la portière !… Elle n’a juste que le temps de descendre.

La locomotive siffle, le train s’ébranle.

— Eh bien ! eh bien ! elle ne descend pas, s’écrie Charlot. Mais ce n’est plus drôle, alors !

— Ma foi ! elle file avec lui, murmure Marguerite. C’est du propre !

Tous se mettent à ricaner, en regardant Morand. Celui-ci est un peu pâle. Il suit le train qui disparaît à toute vapeur. Puis, il fait un grand geste d’insouciance.

— Rentrons dîner, hein ! dit-il. La mère Gigoux a mis une poule… Je vous disais donc hier soir, que l’on ne peut pas toujours reproduire la réalité…

— Crétin ! crie Chamborel.

— Idiot ! hurle Bernicard.

Et la discussion recommence, dans le crépuscule qui tombe sur les champs mélancoliques.