Page:Zola - Vérité.djvu/118

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Dès qu’il vit entrer Marc dans son cabinet, une vaste pièce d’un luxe grave, il s’avança vers lui, les deux mains tendues, d’un air de sympathie souriante. Brun, à peine grisonnant, bien qu’il touchât à la cinquantaine, il avait une grosse tête, au profil de médaille, avec des yeux vifs et clairs.

— Ah ! mon brave, je m’étonnais de ne pas vous voir, et je me doute bien du motif qui vous amène… Hein ? quelle abominable affaire, cette affaire Simon ! Il est innocent, ce malheureux, c’est bien évident à la rage qu’on met à le poursuivre… Je suis avec vous, oh ! je suis avec vous de tout mon cœur.

Heureux de ce bon accueil, soulagé de trouver enfin un homme juste, Marc se hâta de lui expliquer qu’il venait lui demander son aide toute-puissante. Il devait y avoir quelque chose à faire, on ne pouvait pas laisser juger et condamner peut-être un innocent. Mais déjà Lemarrois levait les bras au ciel.

— Agir, agir, sans doute !… Seulement, que faire contre l’opinion publique, lorsque déjà tout le département est ameuté ?… Vous ne l’ignorez pas, la situation politique y devient de plus en plus difficile. Et les élections générales qui ont lieu en mai prochain, dans neuf mois à peine ! Y songez-vous, vous dites-vous à quelle extrême prudence nous voilà réduits, si nous ne voulons pas faire courir à la République le risque d’un échec ?

Il s’était assis, il jouait avec un grand couteau à papier d’ivoire, la face brusquement soucieuse. Et il disait ses craintes, l’agitation dans laquelle se trouvait le département, où les socialistes se remuaient beaucoup, gagnaient du terrain. Ce n’était pas qu’il les redoutât, car aucun candidat socialiste n’avait encore la chance de passer ; mais, aux dernières élections, si deux réactionnaires, dont Sanglebœuf, le rallié, avaient été élus, c’était grâce à la diversion apportée par les socialistes. En mai prochain, la