Page:Zola - Vérité.djvu/125

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paroles à recevoir, pas un acte à attendre, pas une franchise, pas un courage.

Puis, le monde universitaire, le monde politique ainsi jugé, Delbos en vint au monde de la magistrature. Il était convaincu que le juge d’instruction Daix avait dû flairer la vérité, mais qu’il l’avait écartée, sous la terreur des continuelles querelles de ménage dont sa femme le fouaillait, pour l’empêcher de relâcher « le sale juif » ; et cela dans un grand trouble de conscience, car l’homme était un professionnel méticuleux et honnête au fond. D’autre part, il fallait redouter le procureur de la République, le fringant Raoul de La Bissonnière, dont le réquisitoire serait certainement féroce, sous les agréments littéraires dont il se plaisait à orner sa parole. De petite noblesse vaniteuse, il semblait avoir fait un gros sacrifice à la République en la servant, il entendait en être récompensé par un avancement rapide, qu’il hâtait de son mieux, ami à la fois du gouvernement et de la congrégation, patriote et antisémite fougueux. Et quant au président Gragnon, on allait avoir en lui le président jovial, grand buveur, grand chasseur, coureur de filles et faiseur d’esprit, de brusquerie affectée, mais de scepticisme certain, sans âme et sans foi, à la merci du plus fort. Enfin, il y aurait le jury, encore inconnu, facile à prévoir, quelques boutiquiers, un ou deux capitaines en retraite, peut-être deux ou trois architectes, médecins ou vétérinaires, des employés, des rentiers, des industriels, tous empoisonnés, tremblant pour leur peau, cédant à la démence publique.

— Et vous voyez, conclut âprement Delbos, que votre frère, lâché par tous, ayant la maladresse d’avoir besoin d’aide au moment où la crainte des élections prochaines arrête tout, paralyse jusqu’aux amis de la vérité et de la justice, aura pour le juger un bel ensemble de bêtises, d’égoïsmes et de lâchetés.