Page:Zola - Vérité.djvu/191

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’un pas machinal, il marcha jusqu’à la place plantée d’arbres, où la gare se trouvait, il s’y laissa tomber sur un banc, dans une grande solitude. Ses réflexions continuaient, il était en proie à une discussion intérieure, décisive, qui l’absorbait tout entier.

Une brusque clarté se fit. L’extraordinaire spectacle auquel il venait d’assister, ce qu’il avait vu et entendu, l’emplit d’une certitude aveuglante. Si la nation souffrait, traversait une crise affreuse, si la France se divisait en deux Frances ennemies, de plus en plus étrangères l’une à l’autre, prêtes à se dévorer, c’était simplement que Rome avait porté sa bataille chez elle. La France était la dernière des grandes puissances catholiques ; elle seule avait encore les hommes et l’argent nécessaires, la force qui pouvait imposer le catholicisme au monde ; et, dès lors, il devenait logique que Rome l’eût choisie pour y livrer le suprême combat, dans son âpre désir de reconquérir le pouvoir temporel, qui seul lui permettrait de réaliser son rêve séculaire d’universelle domination. Alors, la France entière se trouvait être comme ces plaines frontières, ces labours, ces vignes, ces vergers fertiles, où deux armées se rencontrent et s’entrechoquent pour vider quelque vaste querelle : les moissons sont ravagées par les charges de cavalerie, les vignes et les vergers sont éventrés par les batteries de canons lancées au galop, les obus font sauter les villages, la mitraille rase les arbres, change la plaine en un désert de mort. Et c’est la France d’aujourd’hui que dévaste et que ruine la guerre faite chez elle par l’Église à la Révolution, à l’esprit de liberté et de justice, guerre exterminatrice sans pitié ni trêve, l’Église ayant bien compris que, si elle ne tue pas la Révolution, la Révolution la tuera. De là cette lutte acharnée, engagée sur tous les terrains, parmi toutes les classes, empoisonnant toutes les questions, fomentant la guerre civile, transformant la patrie