Page:Zola - Vérité.djvu/430

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lui avait donc changé sa France ? elle n’était donc plus la libératrice ? Puisqu’elle savait à cette heure, pourquoi donc ne se levait-elle pas en masse, au lieu de continuer à être l’obstacle, la foule aveugle et sourde barrant la route ?

Et il retournait toujours au point d’où il était parti, lorsque la nécessité de sa besogne d’humble instituteur lui était apparue. Si la France dormait toujours de son lourd sommeil d’inconscience, cela venait simplement de ce que la France ne savait pas encore assez. Un frisson le prenait : combien de générations, combien de siècles fallait-il pour qu’un peuple, nourri de vérité, devînt capable de justice ? Depuis quinze ans bientôt, il s’efforçait de faire des hommes justes, une génération déjà lui était passée par les mains, dont il pouvait constater l’étape vers l’avenir ; et il se questionnait, il se demandait quel était le chemin réellement parcouru. Souvent, il tâchait de revoir ses anciens élèves, étonné de ne pas les sentir étroitement avec lui. Quand il les rencontrait, il aimait à causer, il les comparait à leurs parents, moins dégagés de la terre originelle, et aux élèves actuellement sur les bancs de son école, qu’il comptait bien dégager davantage. Là était la grande œuvre, la mission acceptée en un jour de mortelle crise, poursuivie au travers de toutes les souffrances, dont il pouvait douter dans ses heures de lassitude, mais qu’il reprenait le lendemain avec une foi nouvelle.

Ce fut ainsi que par une claire soirée d’août, ayant poussé sa promenade, sur la route de Valmarie, jusqu’à la ferme des Bongard, il aperçut Fernand, son ancien élève, qui rentrait de la moisson, une faux à l’épaule. Fernand venait d’épouser la fille du maçon Doloir, Lucile, lui âgé de vingt-cinq ans, elle de dix-neuf, tous les deux camarades, ayant joué jadis ensemble, aux sorties de l’école. Et la jeune femme, une petite blonde, l’air doux