Page:Zola - Vérité.djvu/550

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il entrait sûrement le regret de cette félicité d’amour, la haine de cet affranchissement de la femme, qu’elle aurait voulu lui interdire comme l’enfer ignoré, peut-être délicieux, où elle-même ne devait jamais mettre les pieds.

Mais, entre la grand-mère et la petite-fille, entre la dévote têtue et la croyante près de s’affranchir, il y avait la mère, la dolente Mme  Berthereau. Celle-ci, d’apparence, n’était aussi qu’une dévote, pliée sous la règle, acquise dès la naissance à l’Église. Elle n’avait même jamais cessé de pratiquer un seul jour, puisque son mari, le libre penseur Berthereau, l’ami de Salvan, poussait la faiblesse tendre jusqu’à l’accompagner à la messe, dans son adoration pour elle. Seulement, elle avait connu l’amour de cet homme exquis, la passion ardente de toutes les heures dont il l’entourait, et elle en était restée imprégnée, à jamais possédée et frémissante. Et, depuis tant d’années qu’il était mort, elle lui appartenait toujours, elle vivait de son unique souvenir, achevant solitairement son existence de femme aux bras de sa chère ombre. Cela expliquait ses longs silences, son effacement résigné, dans la petite maison morne, où elle s’était retirée avec sa fille comme dans un couvent. Elle n’avait pas même songé à se remarier, elle était devenue une autre Mme  Duparque, d’une religion rigide et méticuleuse, toujours vêtue de noir, le visage couleur de cire, l’air dompté, anéanti, sous la rude main de l’aïeule qui pesait sur la maison entière. À peine, parfois, sa bouche lasse avait-elle un pli d’amertume, ses yeux de soumission s’éclairaient-ils d’une fugitive lueur de révolte, quand l’amant disparu, se réveillant en elle, lui donnait le regret immense de l’ancienne félicité d’amour, au fond de ce néant glacé de pratiques religieuses, où elle agonisait si longuement. Et il avait fallu, dans les derniers temps, l’affreux tourment de sa fille Geneviève, auquel elle assistait, cette lutte de la