Page:Zola - Vérité.djvu/637

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jusque dans la mort, ce sont mes supérieurs, mes frères en Jésus-Christ, tous ceux qui devaient me couvrir, me sauver, et qui m’ont jeté à la rue, avec l’espoir de m’y voir mourir de honte et de faim… Et encore, moi, je suis une pauvre et damnable créature, mais c’est Dieu lui-même que ces misérables lâches ont trahi et vendu, car c’est leur faute, c’est la faute de leur imbécile faiblesse, si l’Église va être battue, et si, en attendant, cette pauvre école que vous voyez là croule de toutes parts… Quand on songe à la place qu’elle occupait, de mon temps ! Nous étions les victorieux, nous avions réduit presque à rien votre école laïque. Et voilà cette école qui triomphe aujourd’hui, elle seule bientôt régnera. Mon cœur en est gros de regrets et de rage.

Mais deux vieilles femmes passaient, un père capucin sortit de la chapelle voisine, et le frère Gorgias, jetant autour de lui des regards obliques, ajouta vivement, à voix plus basse :

— Écoutez, monsieur Froment, je suis tracassé depuis longtemps par le désir de causer avec vous. J’ai beaucoup de choses à vous dire. Si vous le permettez, j’irai vous voir un de ces jours à Jonville, après la tombée de la nuit.

Et il s’en alla, il disparut sans que Marc eût seulement prononcé un mot. Bouleversé, ce dernier ne parla de cette rencontre à personne, excepté à sa femme, qui s’en alarma. Il fut convenu entre eux qu’ils ne recevraient pas l’homme, la visite annoncée étant peut-être quelque guet-apens, une nouvelle machination de traîtrise et de mensonge. L’homme avait toujours menti, il mentirait encore ; à quoi bon dès lors espérer de ses confidences le fait nouveau cherché depuis si longtemps ? Mais des mois se passèrent sans qu’il parût ; et Marc, qui d’abord s’était tenu sur ses gardes pour lui fermer sa porte, en arrivait à s’étonner, à s’impatienter de ne pas le voir venir. Il se demandait