Page:Zola - Vérité.djvu/678

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puis, mon père n’est pas parmi les enthousiastes… Ça ne fait rien, je veux bien monter le voir.

Auguste Doloir, grâce à l’amitié de l’ancien maire Darras, était également devenu un petit entrepreneur de maçonnerie. Après la mort de son père, il avait pris sa mère chez lui ; et, depuis la démolition de la rue Plaisir, il occupait, sur l’avenue nouvelle, un rez-de-chaussée, précédé d’une vaste cour, où il déposait des matériaux. Le logement était très propre, très sain, inondé de soleil.

Lorsque Marc se trouva là, dans une claire salle à manger, en présence de Mme Doloir, la mère, il y eut de nouveau en lui tout un réveil des vieux souvenirs. Elle était âgée de soixante-neuf ans, elle avait toujours son air raisonnable de bonne ménagère, conservatrice d’instinct, ne permettant pas à son homme ni à ses enfants de se compromettre dans la politique. Marc le revoyait aussi, le maçon Doloir, le grand gaillard blond, l’ouvrier ignorant, gâté par la caserne, brave homme, mais hanté d’histoires imbéciles, l’armée désorganisée par les sans-patrie, la France vendue à l’étranger par les juifs. Un jour, on l’avait rapporté mort sur une civière, tombé d’un échafaudage ; et il semblait bien, ce jour-là, qu’il avait dû boire ; mais Mme Doloir n’avait jamais voulu en convenir, parce qu’elle était de celles qui n’avouent pas les fautes des leurs. Quand elle aperçut Marc, elle lui dit tout de suite :

— Ah ! monsieur Froment, nous ne sommes plus jeunes, nous voilà de vieilles connaissances… Mon Auguste et mon Charles n’avaient pas plus de huit et six ans, quand je vous ai vu pour la première fois.

— Parfaitement, madame… J’étais allé vous demander, au nom de mon camarade Simon, de laisser vos enfants dire la vérité, si on les interrogeait.

À tant d’années de distance, elle redevint brusquement grave et défiante, elle répondit :