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162 SUYLV PRUDHOMME

rien de si haut ni de si profond, à quoi le poète n'ait mission d'intéresser le cœur. »

La lutte entre les tendances élégiaqucs de son génie et son nouveau désir fut longue et dure. En lui et autour de lui il dut surmonter bien des résis- tances. J'ai entendu dire au poète lui-même, dans sa petite chambre de Cluitenay, que Gaston Paris voulut le retenir dans ce domaine de l'élégie où il avait remporté de si beaux triomphes. Mais son aspiration fut la plus forte, et, après un débat intérieur dont la Justice garde encore l'émouvant écho, le poète redresse sa Muse dolente et tant applaudie par les âmes inquiètes, et il l'entraîne, sur une route malaisée et hasardeuse, dans les sentiers de la pensée et de l'abstraction :

La Muse tremble et dit : quel vol lu me demandes? Puis-je où tu veux aller t'eseorter sans péril? J'ai besoin d'air sonore, et mes ailes, si grandes, Sont trop lourdes pour fendre un élément subtil.

Un abîme sans ciel, peuplé d'ombres ténues, N'offre à mon large essor aucun solide appui; Parmi les moules creux et les vérités nues Je périrai bientôt de détresse et d'ennui.

Tu ne m'entendras plus ou tu me feras taire, Tantôt m'abandonnant, tantôt sourd à. mes cris, Me forçant à ramper pour consulter la terre Sans pitié pour mes mains et mes genoux meurtris!

Mais le poète, renonçant peut-être au sourire et