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64 SULLY PRUDHOMME

Sa certitude est à la fois enivrée et tranquille. Son ardeur est l'éclat de sa lucidité. Il ne lui suffit pas de frapper la sensibilité et l'imagination des hommes. Il plie leur volonté à sa pensée domi- natrice et les Hébreux, d'abord étonnés et trem- blants, puis entraînés par sa loi, se mettent en marche et accomplissent leurs destins. Je n'ou- blie pas que Moïse se plaint. Qui pourrait oublier l'accent si poignant de sa lassitude? Mais cette plainte n'est pas l'aveu de l'impuissance, ni le cri du repentir, ni l'expression du désespoir roman- tique et de la révolte byronienne. Le héros pro- clame jusqu'au bout la beauté et l'efficacité de son œuvre. Il se plaint parce que la puissance ne lui suffit plus, et que la confiance et l'amour s'effarouchent devant sa puissance. Il n'a pas encore trouvé l'appui souverain, le sourire et la force d'Éva. La Maison du Berger lui offrira bientôt un refuge non seulement pour apaiser sa lièvre, mais pour prolonger ses méditations.

Par là Vigny est le maître de tous les poètes qui voient dans l'art, non pas le divertissement des heures oisives, mais la méditation de l'avenir. Sully Prudhomme se rattacha vite à cette noble doctrine. On le voit, dès sa jeunesse, considérer