Pages intimes 1914-1918/38

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Des presses de Vromant & Co, imprimeurs (p. 91-92).
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SUNT LACRYMAE RERUM




Ma Muse trop souvent — pleurant sur la Patrie —
À ses larmes mêla des mots qu’on doit bannir ;
Il entre dans la haine un peu de barbarie
Et le cœur d’un chrétien n’est pas fait pour honnir.

Plutôt que fulminer en nos vers et nos proses
L’anathème brutal du haut de notre orgueil,
Laissons plus simplement, laissons parler aux choses
Leur langage muet de douleur et de deuil.

Parlez, sol des aïeux, fumant sous les ruines,
Pierres de nos autels, pierres de nos foyers,
Où le fer n’épargna, plongé jusqu’aux racines,
Ni la cendre des morts, ni l’ombre des noyers ;

Temples d’où la Justice outragée est proscrite,
Asiles du Savoir et remparts de nos Droits,
Mutilés glorieux dont la Croix-Rouge abrite
La plaie encor saignante au Palais de nos Rois,



Montrez à l’univers la blessure héroïque
Qu’au flanc de ses soldats, aux murs de ses cités
Porte comme un blason le peuple de Belgique,
Jaloux de son honneur et de ses libertés.

Ah ! que tous ces martyrs, sans verbe imprécatoire,
Que tous nos ossements, parlant en temps et lieu,
Versent leur témoignage au dossier de l’Histoire,
Et laissons prononcer le jugement de Dieu !