Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Pantagruel/34

La bibliothèque libre.
Pantagruel
Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 382-384).

La conclusion du present livre, & l’excuse de l’auteur.

Chapitre XXXIIII.



Or, Messieurs, vous avez ouy un commencement de l’Histoire horrificque de mon maistre et seigneur Pantagruel. Icy je feray fin à ce premier livre ; la teste me faict un peu de mal, et sens bien que les registres de mon cerveau sont quelque peu brouillez de ceste purée de septembre.

Vous aurez la reste de l’histoire à ces foires de Francfort prochainement venantes, et là vous verrez : comment Panurge fut marié, et cocqu dès le premier moys de ses nopces ; et comment Pantagruel trouva la pierre philosophale, et la maniere de la trouver et d’en user ; et comment il passa les Mons Caspies ; comment il naviga par la mer Athlanticque, et deffit les caniballes, et conquesta les isles de Perlas ; comment il espousa la fille du roy de Inde, nommée Presthan ; comment il combatit contre les diables et fist brusler cinq chambres d’enfer, et mist à sac la grande chambre noire, et getta Proserpine au feu, et rompit quatre dentz à Lucifer et une corne au cul ; et comment il visita les regions de la lune pour sçavoir si, à la verité, la lune n’estoit entiere, mais que les femmes en avoient troys quartiers en la teste ; et mille aultres petites joyeusetez toutes véritables. Ce sont belles besoignes.

Bonsoir, Messieurs. Pardonnante my, et ne pensez tant à mes faultes que ne pensiez bien es vostres.

Si vous me dictes : Maistre, il sembleroit que ne feussiez grandement saige de nous escrire ces balivernes et plaisantes mocquettes, je vous responds que vous ne l’estes gueres plus de vous amuser à les lire. Toutesfoys, sy pour passe temps joyeulx les lisez comme passant temps les escripvoys, vous et moy sommes plus dignes de pardon q’un grand tas de sarrabovittes, cagotz, escargotz, hypocrites, caffars, frappars, botineurs, et aultres telles sectes de gens, qui se sont desguisez comme masques pour tromper le monde.

Car, donnans entendre au populaire commun qu’ilz ne sont occupez sinon à contemplation et devotion, en jeusnes et maceration de la sensualité, sinon vrayement pour sustenter et alimenter la petite fragilité de leur humanité, au contraire font chiere, Dieu sçait quelle, & Curios simulant, sed bacchanalia vivunt. Vous le pouvez lire en grosse lettre & enlumineure de leurs rouges muzeaulx, & ventres à poulain, sinon quand ilz se parfument de Soulphre. Quant est de leur estude, elle est toute consummée à la lecture de livres Pantagruelicques, non tant pour passer temps joyeusement que pour nuyre à quelc’un meschantement, sçavoir est articulant, monorticulant, torticulant, culletant, couilletant et diabliculant, c’est à dire callumniant. Ce que faisans, semblent es coquins de village qui fougent et echarbottent la merde des petitz enfans, en la saison des cerises et guignes, pour trouver les noyaulx et iceulx vendre es drogueurs qui font l’huille de Maguelet.

Iceulx fuyez, abhorrissez et haissez autant que je foys, et vous en trouverez bien, sur ma foy, et, si desirez estre bons Pantagruelistes (c’est à dire vivre en paix, joye, santé, faisans tousjours grande chere), ne vous fiez jamais en gens qui regardent par un pertuys.


Fin des cronicques de Pantagruel, roy des Dipsodes,
restituez à leur naturel, avec ses faictz
et prouesses espoventables composez
par feu M. ALCOFRIBAS,
abstracteur de quinte
essence.