Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Pantagruel/6

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Pantagruel
Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 241-243).

Comment Pantagruel rencontra un Limosin qui contrefaisoit le langaige Francoys.

Chapitre VI.



Quelque jour, je ne sçay quand, Pantagruel se pourmenoit après soupper avecques ses compaignons par la porte dont l’on va à Paris. Là rencontra un escholier tout jolliet, qui venoit par icelluy chemin ; et, après qu’ilz se furent saluez, luy demanda : Mon amy, dont viens tu à ceste heure ? L’escholier luy respondit : De l’alme, inclyte et celebre academie que l’on vocite Lutece. Qu’est ce à dire ? dist Pantagruel à un de ses gens. C’est (respondit-il), de Paris. Tu viens doncques de Paris, dist il ? Et à quoy passez vous le temps, vous aultres messieurs estudiens, audict Paris ? Respondit l’escolier : Nous transfretons la Sequane au dilucule et crepuscule ; nous deambulons par les compites et quadrivies de l’urbe ; nous despumons la verbocination latiale, et, comme verisimiles amorabonds, captons la benevolence de l’omnijuge, omniforme, et omnigene sexe feminin. Certaines diecules nous invisons les lupanares, et en ecstase venereique, inculcons nos veretres es penitissimes recesses des pudendes de ces meritricules amicabilissimes ; puis cauponizons es tabernes meritoires de la Pomme de Pin, du Castel, de la Magdaleine et de la Mulle, belles spatules vervecines perforaminées de petrosil. Et si, par forte fortune, y a rarité ou penurie de pecune en nos marsupies, et soyent exhaustes de metal ferruginé, pour l’escot nous dimittons nos codices et vestes opignerées, prestolans les tabellaires à venir des Penates et Lares patriotiques. À quoy Pantagruel dist : Que diable de langaige est cecy ? Par Dieu, tu es quelque heretique. Seignor, non, dit l’escolier, car libentissiment, dès ce qu’il illucesce quelque minutule lesche du jour, je demigre en quelc’un de ces tant bien architectez monstiers, et là, me irrorant de belle eaue lustrale, grignotte d’un transon de quelque missicque precation de nos sacrificules ; et, submirmillant mes precules horaires, elue et absterge mon anime de ses inquinamens nocturnes. Je revere les Olimpicoles. Je venere latrialement le supernel Astripotent. Je dilige et redame mes proximes. Je serve les prescriptz Decalogiques et, selon la facultatule de mes vires, n’en discede le late unguicule. Bien est veriforme que, à cause que Mammone ne supergurgite goutte en mes locules, je suis quelque peu rare et lend à supereroger les eleemosynes à ces egenes queritans leurs stipe hostiatement. Et bren, bren ! dist Pantagruel, qu’est ce que veult dire ce fol ? Je croys qu’il nous forge icy quelque langaige diabolique et qu’il nous cherme comme enchanteur. À quoy dist un de ses gens : Seigneur, sans doubte, ce gallant veult contrefaire la langue des Parisians ; mais il ne faict que escorcher le latin, et cuide ainsi pindariser, et luy semble bien qu’il est quelque grand orateur en francoys, parce qu’il dedaigne l’usance commun de parler. À quoi dict Pantagruel : Est il vray ? L’escholier respondit : Signor Missayre, mon genie n’est poinct apte nate à ce que dict ce flagitiose nebulon, pour escorier la cuticule de nostre vernacule Gallicque, mais vice versement je gnave opere, et par veles et rames je me enite de le locupleter de la redundance latinicome. Par Dieu (dist Pantagruel) je vous apprendray à parler. Mais devant, responds moy : dont es tu ? À quoy dist l’escholier : L’origine primeves de mes aves et ataves fut indigene des regions Lemovicques, où requiesce le corpore de l’agiotate sainct Martial. J’entens bien, dist Pantagruel ; tu es Lymosin, pour tout potaige. Et tu veulx icy contrefaire le Parisian. Or vien çza, que je te donne un tour de pigne ! Lors le print à la gorge, luy disant : Tu escorche le latin ; par sainct Jean, je te feray escorcher le renard, car je te escorcheray tout vif.

Lors commença le pauvre Lymosin à dire : « Vée dicou, gentilastre ! Ho, sainct Marsault, adjouda my ! Hau, hau, laissas à quau, au nom de Dious, et ne me touquas grou ! » À quoy dist Pantagruel : « À ceste heure parle tu naturellement. » Et ainsi le laissa, car le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses, qui estoient faictes à queheue de merluz, et non à plein fons ; dont dist Pantagruel : « Sainct Alipentin, quelle civette ! Au diable soit le mascherabe, tant il put ! » Et le laissa. Mais ce luy fut un tel remord toute sa vie, et tant fut alteré qu’il disoit souvent que Pantagruel le tenoit à la gorge, et, après quelques années, mourut de la mort Roland, ce faisant la vengeance divine et nous demonstrant ce que dit le philosophe et Aule Gelle : qu’il nous convient parler selon le langaige usité, et, comme disoit Octavian Auguste, qu’il fault eviter les motz espaves en pareille diligence que les patrons des navires evitent les rochiers de mer.